Réflexion de Mamoun Ghallab suite à la visite du site archéologique d’Igiliz

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Drôle de sensation que d’être debout au milieu des vestiges de la mosquée où Mohamed Ibn Toumert, il y a près de 900 ans, réunissait en prière ses fidèles compagnons qui ont fondé la dynastie Almohade. Perché à 1350m d’altitude sur une étroite montagne aux flancs escarpés, Igiliz me fascine, symbolisant à mes yeux le pire et le meilleur.

Au début du 12ème siècle, Ibn Toumert, qui a grandi dans les montagnes de l’Anti-Atlas, décide de partir en voyage. Mettre un pied hors de son village ou de sa région natale à cette époque était indéniablement dangereux. Lui, il est parti en voyage sur des milliers de kilomètres, en direction de l’Andalousie puis Baghdad et la Mecque, en passant par divers endroits en Afrique du nord. Un tel périple était une aventure hautement incertaine et risquée, surtout quand cela dure 15 longues années.

Quitter les siens. Aller vers des destinations dont il n’avait de toute évidence que des échos lointains (plusieurs sources historiques concordent à dire que le guide du routard ou le site andalucia.org n’existaient pas encore pour informer les voyageurs désireux de se rendre à Cordoue). S’exposer aux dangers de la route. Voyager à dos de mulet, à pied, en bateau, supporter la fatigue… Pourquoi ?

Pour aller à la recherche de la connaissance. Pour s’instruire.

Fascinant.

Ses efforts et prises de risques ont payé car à l’issue de son voyage, bien qu’il ait failli y laisser la vie quelques fois, notre ami Mohamed Ibn Toumert s’est effectivement constitué un très solide bagage intellectuel. Il a étudié en profondeur l’Islam et les différents courants théologiques majeurs de son époque.

Cette connaissance acquise lui a permis de développer sa propre vision de l’Islam, sa propre doctrine religieuse composant librement des idées issues de divers courants religieux. Chose paradoxale, il s’est ouvert à la connaissance pour se construire une vérité dogmatique exclusive de toute autre conception théologique. L’islam prêché par Ibn Toumert était très rigoriste, considérant qu’il détenait La vérité sur la façon de comprendre la religion et de vivre sa foi. Il s’est ouvert à la connaissance pour mieux tracer les limites d’un enclos idéologique hermétique qui lui servira de base pour construire le mouvement Almohade. Dans cet enclos il s’est paré d’un rôle prophétique. Mahdi, imâm, être impeccable, aimé de Dieu et à qui le commun des mortels doit obéir.  

Inquiétant.

Sa doctrine, après l’avoir prêchée seul, partout où il passait (depuis la Mecque jusqu’à la capitale Almoravide, Marrakech), il a décidé de la diffuser depuis « chez lui ». A Igiliz, sur le piton montagneux surplombant son village natal, il a construit un lieu de retraite, comptant une mosquée, des habitations, des réserves d’eau et de nourriture, des espaces de rassemblement et des fortifications. Et dans ce lieu, une communauté de gens venus se former à la doctrine d’Ibn Toumert et s’imprégner d’une vision commune. Un ensemble restreint de personnes respectant une même rigueur, une même discipline, un même mode de vie et un même système de valeurs. Des personnes dédiées à une mission commune.

A Igiliz, Ibn Toumert a formé de fidèles disciples aptes à porter une certaine vision de la société, la diffuser et la traduire en actions qui ont influencé et transformé la réalité de son époque. Un lieu, une méthode, des idées, des personnes imprégnées de ces idées et des jeunes gens venus apprendre pour devenir ensuite eux-mêmes des relais.

Inspirant.

Je ne fais pas abstraction des guerres, manigances politiques, alliances, mésalliances, trahisons, massacres, mensonges, vengeances et pillages qui ont été opérés pour permettre la domination des Almohades. Répugnantes réalités pour le candide observateur du 21ème siècle que je suis, empreint des grands idéaux humanistes issus des Lumières, et souhaitant croire à la possibilité d’un monde sans violence où le changement, les évolutions et les ruptures ne nécessitent ni ne provoquent des effusions de sang.

Utopique ?

Je souhaite insister ici sur un dernier point sans lequel Ibn Toumert n’aurait pas pu être à l’origine d’un changement dépassant les limites culturelles, géographiques, et politiques de la confédération de tribus des montagnes et plaines environnantes à Igiliz. Dans une société essentiellement analphabète, Ibn Toumert a tout de même pris la peine d’écrire. Sa vision du monde, sa vérité dogmatique, ses idées directrices, son idéologie, ses thèses. Appelez cela comme vous le voudrez. Ça, il l’a passé par écrit pour en faire un livre : أعز ما يطلب . Ce livre a été un élément décisif pour assurer la cohérence des messages portés par les Almohades, du vivant d’Ibn Toumert et surtout après son décès.

Indispensable.

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