Zakaria Habbad, apprenant MAHIR, visite Ighil n’Ogho

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Le vendredi 25 mars était une journée très particulière. J’ai accepté d’aller avec l’étudiant israélien avec qui j’ai travaillé dans le projet FAST. Les grands-parents de Moshe étaient des marocains avant qu’ils partent en Israël. Ighil n’Ogho est un petit village à quelques kilomètres de Taliouine, où le grand-père de Moshe vivait avec sa femme et vendait du Safran. Ighil n’Ogho est dans une partie du Maroc très connue pour sa qualité du Safran. À l’âge de 26 ans, ils ont quitté le Maroc vers Israël sans jamais revenir. Moshe grandit dans un entourage où ses grands-parents parlaient berbère entre eux, accompagné par des histoires sur la vie à Ighil n’Ogho.

Moshe m’a beaucoup parlé de visiter le village natal de ses grands-parents quand on aura fini le travail sur le documentaire de l’artisanat. J’ai accepté de l’accompagner sans hésitation. On a planifié ce voyage durant les derniers jours de notre travail sur notre documentaire.

J’ai invité Moshe à passer la nuit chez moi à Agadir, où il a eu la chance de déguster une Pastilla fait maison. On est sorti à 7 heures du matin et on a invité Mohamed Boublouh à nous rejoindre pour nous aider à filmer le documentaire qu’on compte produire durant ce voyage.

J’ai beaucoup aimé la route, car il venait de pleuvoir, j’ai beau essayer, je ne pourrais jamais transmettre la beauté de la nature que nous avons vue. Surtout les montagnes de l’Atlas. Chaque montagne est silencieuse, mais elle cache des secrets et des histoires qui méritent d’être racontés. Juste en les regardant, je me sens effrayé et si petit dans ce monde. Comment puis-je contribuer à raconter ces histoires ? Par où commencer ? Je ne sais pas.

On a pris une petite pause pour prendre le petit déjeuner dans un village sur la route, du thé à la menthe avec du Msemen comme j’aime et Moshe aussi. On a continué notre route vers Taliouine qui nous a pris environ trois heures. Il n’était pas très difficile de trouver le village Ighil nOgho car tout le monde à Taliouine le connaissait.

Arrivant au village, la première chose qui a attiré mon attention était l’architecture très ancienne des villages marocains. Ce n’était pas un village touristique, donc chaque maison détruite n’a jamais été reconstruite. Une beauté très triste caractérisait le village. Pour moi, c’était le genre de village qu’on peut appeler vraiment, Mdina Kdima, ou bien l’ancienne ville, car elle garde toujours la vraie forme des maisons que les juifs habitaient avant de partir.

Dès qu’on est descendus de la voiture, on a commencé à poser des questions sur le Mellah de ce village et les juifs qui y vivaient auparavant. Les villageois étaient très sympas avec nous et répondaient à toutes nos questions sans hésitation. Quelques enfants nous ont entendus parler du Mellah et ils ont décidé de nous montrer le chemin. Le village était si petit qu’on est arrivé au Mellah après quelques minutes de marche.

Malgré la beauté de ce village, on ne pouvait ignorer que le Mellah était devenu des ruines qui disparaissaient avec le temps. Le départ des juifs a été comme le départ de l’âme de cet endroit. Je pouvais clairement sentir le vide de ces rues, en imaginant comment elles étaient avant. Peu de gens se souviennent vraiment des juifs qui habitaient ici, j’avais l’impression qu’à part ces maisons détruites on ne trouverait rien.

On a eu la chance d’avoir rencontré Zoubida qui s’était portée volontaire après son père, de devenir la responsable de ce que les juifs ont laissé avant de partir, y compris la synagogue qui n’était devenue que des ruines, le cimetière et la tombe du rabbin que des centaines de juifs viennent visiter chaque année en mois de décembre et janvier.

Dès qu’elle nous a vus, elle est rentrée dans sa maison et sans la moindre hésitation, spontanément, elle a éteint le feu sous son Tajine et elle s’est changée pour passer le reste de la journée avec nous. Juste cette action nous a montré à quel point elle était dévouée à cette cause. Elle n’avait pas beaucoup d’informations à nous offrir, sauf la connaissance qu’elle a hérité de son père qui était très limitée aussi, il a obtenu son seul savoir de son vécu avec les juifs avant qu’ils partent.

On a commencé notre visite par la synagogue qui est presque détruite, mais quand on y entre, on peut la reconnaître. On est parti après vers le cimetière juif dans le village. Zoubida avait les clés et nous a montré les deux seules tombes sur lesquelles on peut trouver de l’écriture, la première était cassée et la deuxième était illisible, même pour Moshe qui connait l’hébreu. Aucune autre tombe ne portait des mots, le sentiment de vide était vraiment présent dans ce cimetière. J’ai pensé aux familles qui ont été forcées de quitter leurs maisons, leurs villages et surtout les tombes de leurs ancêtres qu’ils ne reverront jamais. J’ai ressenti une tristesse présente dans ce village, surtout dans ce cimetière.

Durant la visite, on a posé beaucoup de questions à Zoubida. Elle ne connaissait pas les noms des familles qui vivaient dans le village, juste quelques-uns. On a remarqué après que tout le monde reprenait les mêmes noms, celui de la famille de Moshe n’était pas inclus. Son grand-père s’appelait Nassim Levi et sa grand-mère était Messaouda Levi. Le prénom de l’arrière-grand-père de Moshe était Vaghoukh Weizman. Un vieil homme nous a montré une maison qui appartenait à un certain Baroukh avant. Mais d’après ce qu’il a dit, Baroukh où Vaghoukh était le nom de famille, pas le prénom. Je crois que c’était juste un manque de transmission d’information, car le nom Baroukh n’est pas un nom commun aujourd’hui, du coup, on l’a pris pour un nom de famille. Grâce à cela, je crois vraiment que nous avons trouvé la maison de l’arrière-grand-père de Moshe.

Après la visite du cimetière, on est allé vers la tombe d’un Saint qui portait aussi le nom de Weizman. D’après Zoubida, des centaines de juifs viennent chaque année visiter cette tombe en décembre. Beaucoup de familles disent qu’il est l’un de leurs ancêtres, même la famille de Moshe disait ça aussi. Zoubida nous a dit que la dernière fois, environ 800 juifs sont venus directement d’Israël pour voir la tombe de ce saint.

Après la visite, Zoubida nous a proposé d’aller à la province du village pour voir si on pouvait trouver l’un des membres de la famille de Moshe dans les registres. Les gens nous ont bien accueillis et ont passé presque une heure à chercher s’ils pouvaient trouver l’un des noms qu’on leur a donnés. Ils n’ont réussi qu’à trouver le nom de l’arrière arrière-grand-père de Moshe, pour être sûrs, ils nous ont demandé les prénoms des parents de la personne qu’ils ont trouvée. Malheureusement, les prénoms que la famille de Moshe a donnés ne correspondaient pas à ceux dans le registre national. On est aussi parti à la Baladia de Taliouine pour voir s’ils peuvent nous aider, mais eux aussi n’ont rien trouvé. Ils ont pris nos coordonnées pour nous contacter au cas où ils auraient trouvé quelque chose.

Après avoir déjeuné, on est rentré à la maison de Zoubida pour boire du thé. Heureusement qu’on avait gardé nos caméras avec nous. Par coïncidence, une vieille femme dont le père était un gardien de l’école de l’alliance qui était dans le village nous a rejoints.

Mbarka n’avait que 7 ans quand les juifs ont quitté Ighil n’Ogho. Elle se souvenait des cérémonies de mariage et des départs des juifs. Elle nous a donné une merveilleuse description sur ce départ, la meilleure que j’ai entendue. Les juifs quittaient famille par famille la ville. Des bus neufs venaient les prendre et ils étaient forcés de partir. Les cris et les pleurs des familles juives et musulmanes étaient les seuls échos qu’on pouvait entendre. Avant qu’ils ne partent, chaque juif parcourait tout le village, embrassant le seuil de chaque maison et demandant pardon à la famille. Elle nous a même chanté la chanson que les juifs fredonnaient avant de partir. C’était douloureux pour les deux côtés. Mbarka avait les larmes aux yeux durant toute l’interview. En parlant de l’école de l’Alliance, elle regrettait d’avoir craint la rigidité des costumes des professeurs. Elle aurait aimé avoir la chance d’apprendre le français.

En revenant à l’hôtel, on était impressionné par tout ce qu’on a fait aujourd’hui, on a décidé de passer une nuit de plus à Taliouine pour voir ce qu’on peut apprendre de plus le lendemain. Une merveilleuse vue sur les montagnes de l’Atlas avec le coucher du soleil nous attendait. On a passé la soirée à revoir tout ce qu’on a pu filmer durant la journée et ce qui nous reste à faire. On manquait de sommeil, du coup, on est allé se coucher très tôt pour être plein d’énergie le lendemain.

Le matin, on a pris le petit déjeuner et on a fait notre check-out de l’hôtel pour passer un peu de temps à Ighil n’Ogho avant de rentrer à Agadir.

Cette fois, sans hésitation, on a pris nos caméras et on a commencé à filmer dans les petites rues d’Ighil n’Ogho. J’ai trouvé vraiment bizarre à quel point les gens des grandes villes refusent d’être filmés, et ceux des petits villages comme celui-ci n’ont souvent aucun problème à parler devant une caméra.

On a rencontré un vieil homme qui était très content de nous parler. Il était même très à l’aise car il chantait et dansait devant la caméra. Je n’ai pas bien compris ce qu’il disait car, il parlait berbère la plupart du temps. Mais le moment qui m’a le plus marqué c’est quand ses émotions ont changé et sont devenues sérieuses, puis il a demandé à Moshe “Allez-vous revenir ? Nous voulons que vous reveniez !  Nous allons jouer Ahwach pour célébrer votre retour.” Une autre femme, qui pouvait à peine voir, nous a dit que le départ des juifs était comme une chute dans cette région, que rien n’était plus pareil depuis, d’un point de vue économique, commercial, et même éducatif.

On a fini par une petite visite de la Kasbah qui appartenait au Pacha El Glaoui qui était presque détruite. Malgré cela, on ne peut nier la beauté de l’architecture marocaine. Cette Kasbah m’a donné envie de faire une recherche sur le Pacha El Glaoui sur lequel je ne connaissais pas grand-chose.

En retournant à Agadir, j’ai eu un moment de réflexion sur cette expérience. Tout en contemplant les gigantesques montagnes de l’Atlas et d’admirer leur beauté. Beaucoup de secrets se cachent dans ces terres et tant d’histoires se sont passées ici. Le départ des juifs n’en est qu’une seule partie. J’ai eu une grande curiosité et surtout une motivation pour en savoir plus, chercher plus et surtout faire de mon mieux pour donner une voix à ces histoires pour les prochaines générations.

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