RÉFLEXION – Les Tribulations Du Dernier Sijilmassi de Fouad laroui​ (Texte de Yassine)

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À La Coupole, après avoir lu le roman “Les Tribulations Du Dernier Sijilmassi” de Fouad Laroui, Yassine Ellouk, 25 ans, a partagé avec nous sa réflexion sur le chapitre “Le deuxième homme”.

Découvrez le texte de Yassine Ellouk, 22 ans :

En arrivant au chapitre “Le deuxième homme” du roman Les Tribulations Du Dernier Sijilmassi, deux souvenirs ont refait surface dans mon esprit.

Le premier, un vendredi de l’été 2007, quand un homme barbu habillé d’une djellaba un peu courte, m’avait arrêté à la sortie de la mosquée après la prière pour me donner des consignes que je devais appliquer pour que ma prière soit correcte, et pour qu’Allah soit satisfait de moi. En m’accompagnant toute la route vers la maison, il m’avait donné quelques leçons sur la vie et sur l’au-delà. Tout impressionné par son “savoir”, l’une de ses phrases m’est restée gravée dans la mémoire : “C’est comme cela qu’on doit prier ; c’est comme cela qu’on doit se comporter ; grâce à la “Révolution Iranienne” je suis arrivé à trouver le bon chemin, le chemin d’Allah”. Il m’avait laissé ébahi en me demandant : qu’est ce que ça veut dire, la révolution iranienne ? Et puis, comment elle a pu arriver jusqu’à notre village caché derrière les montagnes et qui, je pense, est très loin de l’Iran ?

Le deuxième souvenir était en 2010 à Casablanca chez moi. Je me souviens que je m’étais glissé, en secret, dans la chambre de ma grand-mère, une gigantesque cassette sous mon tricot. Je l’avais mise dans le lecteur et j’avais attendu ce qui allait se passer. Une vieille vidéo qui date de 1996 s’était lancée. J’avais vu un grand mariage. La mariée, une belle jeune femme qui porte une sublime robe blanche qui va avec ses cheveux bien coiffés, tient d’une main un bouquet de fleurs et, de l’autre, la main de son mari qui porte un costume-cravatte neuf et moderne, me semblait-il.
J’avais appris plus tard que ce couple n’était que mon père et ma mère. J’étais extrêmement surpris par la différence entre ce jeune couple plein de vie, et celui d’aujourd’hui. Mon père s’était débarrassé de ses cassettes qui contenaient des films et de la musique que j’avais tant aimés, pour les remplacer par d’autres, contenant que du Coran. Quant à ma mère, elle était déjà voilée avant ma naissance.
Pourquoi ce changement soudain ?

Aujourd’hui, en lisant un passage d’une discussion entre Adam et son cousin Abdelmoula, je découvre une grande ressemblance avec mon entourage. D’après Adam, Abdelmoula était un jeune vif avec un esprit ouvert, puis il est devenu un conformiste qui suit l’idéologie répandue dans la société depuis les années quatre-vingt. Adam suppose que tout avait commencé avec le mouvement islamique de Khomeiny en Iran, quand il avait pris le pouvoir en 1979.

Comment alors une telle idéologie, qui ne nous appartient ni historiquement ni au niveau géographique, a pu s’enraciner en nous ?

Dans le même passage, je découvre que ce mouvement islamique était une condition favorable pour la politique de l’arabisation et l’islamisation du pays adoptée par le roi Hassane II. À la même époque, le port du voile était apparu et la philosophie avait été interdite, comme l’était pour moi la cassette du mariage et bien d’autres photos étonnantes de l’ancienne génération.

Les manifestations de ce mouvement sont toujours répandues dans les médias et les réseaux sociaux.
Ma mère suit, chaque vendredi, les cheikhs qui montrent aux musulmans comment vivre et respirer au nom de Dieu. Ma petite sœur qui a subi cette impitoyable métamorphose, elle aussi comme ma mère, porte le voile partout, même au lit quand elle part se coucher. Je me suis retrouvé à plusieurs reprises glisser dans sa chambre pour lui enlever cette bâche qui lui étouffe la tête.
Mon père, lui aussi, se vante de sa barbe modeste qu’il n’arrive pas à faire pousser. Est-il conscient de l’origine de ces actes dits religieux ?
Tout mon entourage se caractérise par la même apparence, la même dépendance à la volonté de Dieu et, surtout, la même méfiance de tout ce qui ouvre l’esprit comme la littérature, la philosophie et l’histoire.
À ce propos, le monde musulman connaît-il vraiment son histoire et son patrimoine ?

En travaillant cette semaine sur une capsule de notre podcast hebdomadaire, nous sommes tombés par hasard, mes collègues et moi, sur l’épisode 8 de la série Héritages de M. Taha Balafrej. J’y ai trouvé quelques références concernant cette problématique. Comme la spécialiste des origines de l’Islam Jacqueline Chabbi qui a affirmé que le monde musulman a perdu le lien avec sa véritable histoire. D’après elle, la clé de tout, c’est le savoir historique. Cela me rappelle la première œuvre que j’avais lue de l’intellectuel algérien Mohammed Arkoun durant le confinement, proposée par l’équipe du programme NAJTAZ, “Aspects De La Pensée Musulmane Classique”, où il rassemble plein de références de l’histoire, de la littérature, de la poésie, de la politique et de la philosophie islamique. Ma mère s’était intéressée à un passage de Kalila wa Dimna, mais elle ne connaissait pas Ibn al-Muqaffa qui y avait inclus la politique et la littérature.

Dans cet épisode même, j’ai trouvé une autre référence qui me semble concerner la problématique précédente. C’est le grand écrivain de la NAHDA Jurgi Zaydane, qui a mélangé dans ces nombreux œuvres l’art du récit et l’histoire islamique à laquelle il s’intéressait, pour réconcilier le monde arabe musulman avec le livre.

Entre l’analyse du comportement marocain actuel que nous procure Fouad Laroui dans ces passages et l’héritage intellectuel que ces penseurs nous ont laissé, qu’est ce que nous pouvons faire en tant que jeunes pour changer notre situation ?

Puisque notre pays a besoin de rétablir sa relation avec le livre qui est un outil primordial d’ouverture d’esprit, nous, les jeunes de Connect Institute, avons pris l’initiative d’organiser le challenge “Qrayathon”. 36 heures de lecture de livres de la littérature mondiale qui m’ont donné le sentiment d’être plus civilisé.
C’est le même sentiment que j’avais éprouvé quand j’ai lu, avec ma mère, أولاد حارتنا de Naguib Mahfouz et الأيام de Taha Hussein pendant le confinement.

Ma mère m’a toujours posé la question : “Mais qu’est ce que vous faites à Connect Institute ?”
Ma réponse fut “La civilisation, ma mère”.

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