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La CSMD a invité la jeunesse à parler. Les jeunes ont tout dit !

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Ce vendredi 28 décembre 2019, une quarantaine de jeunes ont été invités à parler face à la Commission Spéciale pour le Modèle de Développement au Maroc. Parmi eux se trouvaient dix participant(e)s et lauréates des centres MAHIR, Connect Institute et ACT School. 

Je ne pense pas me tromper si je dis que c’est la première fois dans l’histoire de notre pays, que des jeunes issus de tous milieux sociaux, dont certains ont grandi dans des bidonvilles ou des villages reculés en montagne, sans être affiliés à des partis politiques ou autres organisations, ont partagé leur vécu de façon aussi franche et constructive avec les représentants d’une instance nommée par le Roi.

Pendant plus de deux heures et demi, en petits groupes ou en plénière, les jeunes ont parlé de l’état de la jeunesse au Maroc en racontant leurs expériences personnelles, en citant des chiffres et rapports nationaux et internationaux, en argumentant et en s’exposant dans toute leur fragilité et leur humanité.

Mieux que les rapports et les diagnostics spécialisés, leurs témoignages ont fait vibrer le cœur et l’intellect des 35 membres de la Commission. Ils ont ri, ils ont versé des larmes, ils ont applaudi. Tous sans exception.

En écoutant les jeunes, trois sujets sont apparus comme essentiels et directement liés à la racine du mal qui mine la jeunesse marocaine et compromettent l’avenir de notre pays. 

La langue. Comment espérer qu’un jeune se développe humainement et intellectuellement quand il ne peut pas avoir accès à l’éducation dans une langue qui est la sienne au quotidien ?

La littératie. Comment accepter que près de ¾ de nos lycéens soient incapables de comprendre ce qu’ils lisent ? S’il n’est pas capable de lire, comment espérer qu’un jeune applique à sa vie quotidienne ce que l’école lui enseigne de savoir et de savoir-être ?

L’épanouissement par la culture. Les jeunes actuellement victimes du système éducatif ont besoin d’espaces où apprendre à s’exprimer, à prendre goût à la lecture et à la découverte de la culture. Des espaces où ils sont écoutés, conseillés et où ils peuvent développer leur créativité. Ces « écoles de la vie » comme les ont appelés les jeunes sont des lieux permettant aux jeunes de regagner confiance en eux-mêmes et d’apprendre à trouver leur place, en tant qu’humain, dans la société.

Des jeunes qui savent lire et apprendre de ce qu’il lisent, qui savent s’exprimer de façon critique, créative ou formelle, qui ont conscience de la valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter à la société, ces jeunes là pourront être des citoyens actifs, de bons professionnels, de bons enseignants et de bons parents. Ils seront en mesure de porter le développement du Maroc. 

Sans eux, nous continuerons de tourner en rond. 

Ci-dessous, quelques interventions marquantes des jeunes venus parler à la CSMD, retranscrites en français (les interventions étaient majoritairement en darija, mais aussi en français ou en anglais pour certaines) :

« La moyenne d’âge de cette Commission est de plus de 60 ans. Vous pouvez penser les plus beaux modèles de développement. Qui les mettra en œuvre si la jeunesse reste illettrée et incapable de raisonnement critique ? »

« Un jeune cultivé et qui a une tête bien faite, est une personne avec qui un dialogue est possible. S’il est frustré, énervé et qu’il a des revendications, il voudra débattre et argumenter de façon raisonnée pour obtenir ses droits. Par contre, un jeune à qui l’école n’a rien appris, qui ne sait pas s’exprimer et qui se sent acculé risque d’extérioriser ses frustrations d’une toute autre manière. Il ne faut pas avoir peur d’une jeunesse éduquée. Au contraire c’est l’ignorance qu’il faut craindre. »

« Mesdames et Messieurs les membres de la Commission : vous êtes tous de grands intellectuels et vous occupez des fonctions importantes. Je vous invite à prendre un peu de recul et à réfléchir aux éléments clés qui vous ont permis de devenir ce que vous êtes aujourd’hui. Je ne parle pas d’argent, ni des études que vous avez faites. Je parle des livres qui vous ont ouvert l’esprit, de ce film qui vous a changé la vie quand vous aviez mon âge, de cette personne qui vous a fait confiance et vous a conseillé… Ces choses simples et à la fois si essentielles, je vous prie de penser à offrir aux jeunes marocains la possibilité de les vivre tout comme vous le feriez pour vos enfants. »

« La jeunesse marocaine vit aujourd’hui un état d’urgence. Plus des 2/3 des élèves de collège-lycée sont incapables de lire, de comprendre et de restituer les idées contenues dans un texte.  Les marocains ne lisent pas plus de deux minutes par jour en moyenne.
Réformer l’Education Nationale est nécessaire et indispensable, mais cela prendra beaucoup de temps. Il faut créer dès aujourd’hui des espaces où les jeunes qui sont déjà victimes d’un système éducatif dysfonctionnel puissent prendre goût à la lecture, apprendre à s’exprimer et développer leurs talents créatifs. Il faut créer des écoles de la vie partout au Maroc. »

« Je veux avoir accès à la culture, au livre, au théâtre, au cinéma, aux musées… non pas pour devenir un grand intellectuel, mais seulement pour pouvoir sentir que je suis un être humain à part entière. »
“ كم منا تكلم باللغة العربية الفصحى منذ بداية الجلسة؟ أنا الوحيد ”
Nous avons tous pris la parole en darija ou en français. Pourquoi l’éducation nationale s’entête à nous enseigner dans une langue que personne ne parle au quotidien ? ”

“ A la maison, en famille, nous parlons amazigh. Arrivé à l’école j’ai dû d’abord apprendre à parler darija, puis l’arabe classique. Arrivé à la fac j’ai dû transposer toutes mes connaissances au français, et à partir du master toute la recherche dans mon domaine se fait en anglais. J’ai accumulé des lacunes linguistiques au fil de mon parcours, et j’en ressens encore aujourd’hui les conséquences. ”

PAR Mamoun Ghallab

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