Halima, apprenante MAHIR, à la rencontre de Leïla Slimani

Total
0
Shares

Ayant assisté à une rencontre littéraire avec Leila Slimani pour échanger au sujet de la littérature et de son dernier roman “Regardez-nous danser”, deuxième volet de sa saga familiale « Le pays des autres ». Halima, participante à MAHIR Benguerir, a rédigé ce texte : 

Animée par la journaliste Hanane Harrath, la rencontre avec l’écrivaine et romancière Leïla Slimani, a eu lieu le samedi 5 mars à l’Institut français de Marrakech pour la présentation de son dernier roman Regardez-nous danser.

Son amour pour l’écriture a été nourri dès son enfance. Leïla a toujours été consciente qu’elle avait autour d’elle matière à façonner de beaux livres. L’histoire du couple de ses grands-parents, en particulier, l’a toujours fascinée et elle a voulu en faire un livre.

Avec ce désir d’écrire une trilogie et d’investir dans la question de l’identité, Leïla s’est lancée dans l’écriture de quelques scènes de son enfance dans le tourbillon du Goncourt en 2016 et les a ensuite cousues les unes avec les autres.

Quelle est notre part de liberté ? Notre part d’individualité à l’intérieur d’une famille ? Comment les femmes encore plus que les hommes souffrent de se voir disparaître, de voir leur individualité se diluer totalement à partir du moment où elles trouvent une famille ? Ce sont les questions que Leïla cherche à aborder dans ses livres.

Pour elle, la question de la famille est aussi une question éminemment politique. Pendant longtemps on a considéré que la famille était une sorte de refuge, un foyer de douceur dans lequel on peut fuir les aléas et les violences du monde extérieur. Leïla a toujours eu le sentiment inverse. Pour elle, derrière les portes closes, se passait parfois une extrême violence.

En réalité, la famille est déjà une petite société, un lieu politique, à l’intérieur duquel il y a des dominants et des dominés. Il y a un rapport de force entre les adultes et les enfants, entre les hommes et les femmes. Les premiers moments de violence, sont d’abord les moments à l’intérieur de la famille. Donc elle voulait réfléchir à la société dans laquelle on vit à travers ce petit microcosme qu’est la famille et comment à l’intérieur de la famille déjà se construisent toutes les structures de dominations qu’on retrouvera d’une manière plus large à l’extérieur et dans la société.

Leïla a commencé évidemment par écrire les scènes précitées, tout en essayant de retrouver d’abord l’émotion première qu’elle a eu au moment où ses grands-parents et ses parents ont partagé certaines scènes de leurs vies avec elle. Grandir dans une famille où on se parlait beaucoup et on se racontait beaucoup d’histoires lui a permis de créer de beaux romans.

Tous les membres de ma famille sont de grands menteurs”, dit Leïla. “Mais le mensonge peut se justifier à partir du moment où il donne lieu à une bonne histoire”. Ajoute encore Leïla. Parce que toute perception du réel est déjà une fiction.

Pour toute création littéraire, il faut aussi se documenter. Leïla a lu beaucoup de livres d’histoire qu’elle a pu trouver sur la colonisation, sur l’indépendance du Maroc et sur les années de plomb. Sauf que ces livres, s’ils lui donnent une vision globale, ne lui apportent pas ce dont elle a besoin pour écrire un roman, car un roman est avant tout fait de détails physiques. Par ailleurs, elle a vu beaucoup de photos, de vidéos, elle a revu beaucoup de conférences de presse, de conférences de Hassan II, d’interviews.

Tous ses livres sont des histoires de femmes, et cette trilogie en fait absolument partie. Rien dans le monde ne l’intéresse plus et ne suscite plus à la fois sa curiosité, sa fascination, mais aussi sa colère et sa révolte, que les femmes.

Depuis toute petite, les femmes la fascinent. Enfant, quand elle avait sept ans, elle vivait dans une maison habitée principalement par des femmes. Dans une maison où les hommes, disait Leïla, étaient presque effacés. Ils n’avaient pas le droit à la parole, parce que les femmes de sa famille étaient plus fortes, elles parlaient beaucoup. Et dès que les hommes commençaient à parler, on les mettait un peu de côté.

Les femmes sont capables de changer le monde et de le changer pour les hommes, pas contre les hommes. Elles vont le changer pour un monde meilleur pour tous. Le féminisme est un combat pour un monde plus juste de manière globale. Dans un monde où on vivra plus en sécurité, pour un monde dans lequel il y aura moins de discrimination, dans un monde où on pourra vivre ensemble, s’aimer mieux, se parler mieux, se connaître et se côtoyer.

Qu’est-ce que c’est que venir au monde en tant que femme ? Qu’est-ce que c’est d’avoir un corps de femme ? Qu’est-ce que c’est de combattre pour continuer à être un individu alors que tellement de choses sont faites, la maternité, la vie en société, le regard des autres, pour nous effacer, pour faire qu’on soit juste gentilles et douces. Qu’est-ce qui se cache derrière tout ça, quel est le secret de ces hommes-là ? Ce sont des questions auxquelles Leïla essaie sans cesse et sans relâche de trouver des réponses.

Elle a aussi toujours été animée par le désir de raconter l’histoire des femmes qui sont un peu au second plan. Il y a aussi une forme d’engagement chez elle. D’où le but de la trilogie, qu’est de regarder l’évolution du statut des femmes dans un pays comme le Maroc, de confronter des générations, de penser à ce qu’il y a à changer, à ce qui nous a transformées, à quels dialogues on est amenée à faire aussi entre nous les femmes par rapport à tous ces changements.

Ce qui lui semblait intéressant, c’était de sortir de cette vision très clichée et de cette idée que les femmes sont forcément unies entre elles, dans une forme de sororité parce que nous subirions la même domination. Pour elle, c’est même exactement le contraire.

Elle estime que l’un des principaux instruments du patriarcat est de tout faire pour empêcher les femmes de créer des espaces de solidarité entre elles. Elle a été très marquée par le fait que sa grand-mère et sa mère lui ont confié qu’une des grandes souffrances de leurs vies :  dans leur propre éducation, les femmes étaient très cruelles et il n’y avait pas de valorisation. Au contraire, il y avait quelque chose de très rigide parfois dans les relations entre les femmes elles-mêmes.

Et puis, ce sentiment qu’il faut sauver sa peau. Parfois pour sauver sa peau, on ne peut pas être solidaire avec l’autre, avec celle qui a fauté, avec celle qui s’est marginalisée et avec celle qui est devenue paria. L’une des grandes réussites du combat féministe moderne est précisément d’essayer de briser cette rivalité qui nous est inculquée. Du coup, son combat est d’être dans l’égalité des tâches, et que ce monde domestique et de la famille ne soit plus un monde exclusivement féminin ou géré exclusivement par les femmes.

L’un des buts de la trilogie, est d’écrire sur la famille Belhaj, ce qui est important pour elle, ce sont les personnages, mais aussi le contexte historique. Il faut toujours s’interroger quelle place en lui donne.

Avant d’être un écrivain, elle est d’abord une lectrice, toujours aussi passionnée que lorsqu’elle avait huit ans et qu’elle lisait beaucoup. Leïla précise qu’il faut lire et se réfugier dans la littérature. Parce que la littérature nous apprend que l’autre est différent, mais cet autre est aussi nous. Il est une partie de nous-même.

À ses yeux, dans le monde d’aujourd’hui, où nous sommes tellement excités par l’idée narcissique de nous différencier des autres, elle a toujours envie de montrer tout ce qui la rapproche des autres et tout ce qui nous ressemble et nous rassemble.

Si vous avez envie d’écrire, écrivez ! C’est la seule chose à faire.” à un jeune homme qui demande des conseils pour les auteurs débutants. Elle poursuit, “Vous vous enfermez dans une sorte de discipline et tous les jours essayez d’écrire n’importe quoi. Décrire le paysage qui est face à vous. Observez. Et La chose la plus importante, c’est que n’ayez pas peur. Sentez-vous totalement libre. N’ayez pas peur de ce que les gens vont penser et de ce qu’ils vont dire.

C’est cette rencontre avec Leïla qui m’a fait comprendre encore plus de choses sur la question du féminisme, sur celle de la famille, de la littérature, de l’écriture et aussi de la lecture.

Dans la vie de tout un chacun, il y a des rencontres dont on se souvient avec chaleur et que l’on garde longtemps dans son cœur. Une telle rencontre a eu lieu dans ma vie, c’est celle que j’ai eu la chance de vivre ce samedi 5 mars avec l’écrivaine Leïla Slimani.

Retrouvez toutes les actualités de Connect Institute

Recevez notre news lettre chaque mardi !

RECOMMANDÉS POUR VOUS

La participante MAHIR Imane Hamid partage son exercice de rédaction sur l’article “Pépinières d’entreprises: le fiasco du programme épinglé par la Cour des comptes”

Pour l’exercice hebdomadaire de cette semaine, les participants MAHIR ont été invités à exprimer leurs réflexions sur l’article : Pépinières d’entreprises: le fiasco du programme épinglé par la Cour des comptes.…
Lire cet article