RÉDACTION – Reprendre la rue en Egypte, militer au Maroc (Texte de Hiba Bennis)

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Cette semaine, les participants à MAHIR ont travaillé sur un exercice de rédaction à propos du podcast de France Culture “Nasawiyat, les nouvelles féministes du monde arabe”, épisode “Reprendre la rue en Egypte, militer au Maroc“.

Voici le texte de Hiba Bennis, 22 ans – Participante MAHIR :

Attention, ne sors pas toute seule. Rentre à la maison avant la tombée de la nuit. Si tu vas marcher, demande à quelqu’un de t’accompagner. Fais attention à ce que le gardien de la rue ou les voisins ne te voient pas seule avec un garçon, ils vont se faire des idées. Ne t’isole jamais dans la rue, fais toujours en sorte de suivre les foules. Essaie de ne pas passer devant les terrasses des cafés pleins d’hommes. Si tu vois un homme marcher vers toi, change de trottoir.

Toutes des phrases que je repasse dans ma tête avant de faire quoique ce soit, et il y en a tant d’autres. Des phrases tellement connues et tellement répétées, qu’on aurait cru les lire dans un manifeste de la femme au Maroc, un engagement qu’on signe au moment où on naît avec un sexe féminin. Mais malgré toutes ces phrases, il suffit d’un moment d’inattention pour que le pire arrive. Je me rappelle encore la fois où à l’âge de quatorze ans, j’ai été suivie et harcelée par un homme le double de mon âge en revenant de l’école vers chez moi, j’ai dû me cacher et attendre dans une boutique pendant plus de trente minutes où il m’a attendue dehors jusqu’à ma sortie. Je me rappelle aussi l’histoire de viol et d’agression sexuelle de ma meilleure amie il y a trois ans de cela. Des attouchements sexuels, du harcèlement continu, des mots, phrases, ou remarques non sollicitées avec lesquels on doit vivre toutes nos vies, sans aucune protection de la loi, jusqu’en 2018 où la loi 103-13 est finalement adoptée pour donner suite au mouvement « Masaktach », qui incrimine toute forme de harcèlement et d’agression. Parfois, ces derniers peuvent évoluer jusqu’à en devenir, comme l’a qualifié Zaineb dans l’épisode « Reprendre la rue en Egypte, militer au Maroc », à retrouver dans l’émission « Nasawiyat, les nouvelles féministes du monde arabe », série de Charlotte Bienaimé : du terrorisme sexuel.

Zaineb, féministe égyptienne émancipée et indépendante, travaille sur l’éducation des jeunes et la sensibilisation de la femme de plusieurs façons, d’abord sur le court terme en donnant des cours de Self defense, ou des solutions comme les Tahrir Bodyguards qui sont venus soutenir les femmes manifestantes qui se mettaient à risque en sortant dans les rues. Chahinaze quant à elle, bloggeuse et activiste, agit contre les discours religieux qui propagent la haine contre la femme, et les gouvernements occupés à retirer des libertés aux femmes. Elle en a fait son combat naturel, sa vie et sa liberté. Toutes les deux, féministes égyptiennes, rebelles et indépendantes, elles se sont révoltées contre les traditions qui n’allaient pas avec leurs convictions. Elles ont toutes les deux été rejetées par leurs amis et familles qui ne partageaient pas le même avis, mais pour elles, ne pas se battre pour leurs droits était comme mourir, et elles, elles ont choisi de vivre.

Comme elles, Jihane et Betty, féministes marocaines, choisissent de revendiquer des choses qu’elles méritent pourtant de droit, mais elles le font avec différentes approches. La première, membre de l’association démocrate des femmes du Maroc à 23 ans, et fan du « Deuxième sexe » de Simone De Beauvoir, pense que dans une société comme la nôtre, il faut grignoter le plus possible de droits en prenant en compte les enjeux politiques. Betty en revanche, figure de la subversion au Maroc, a cofondé le mouvement pour les libertés individuelles « MALI », et pense que le seul moyen d’avoir ce qu’on veut est d’inclure toute la population dans le débat en les choquant. Elle pense aussi que plusieurs problèmes de notre société sont liés à la sexualité, l’exemple de la loi 490 qui incrimine les relations sexuelles hors mariage mais dont les premières victimes sont les femmes ; et qu’il faut absolument trouver une solution à la dictature religieuse claire dans les lois concernant la femme et la famille. Les deux pensent que ce n’est pas simplement un combat contre le gouvernement ou la législation, mais surtout un combat contre les mœurs et les traditions qui règnent dans notre société.

Personnellement, je pense que les deux parties sont actrices majeures de changement, et que chacune des deux occupe un rôle indispensable pour l’évolution des mentalités au Maroc. Mais ce que je pense qu’elles oublient dans leur approche de sensibilisation, demandes d’abrogation de loi et d’instauration d’autres, est le désapprentissage avant l’apprentissage. Dans une société patriarcale comme la nôtre, il est en effet nécessaire d’avoir des personnes qui joueront le rôle des rebelles et qui se montreront à l’autre extrême pour secouer les gens, et d’autres qui joueront le rôle d’intermédiaires dans les cadres institutionnels pour discuter et négocier pour les femmes ; mais souvent, on se retrouve à donner une mauvaise image du mouvement féministe au lieu de le faire apprécier, quelquefois au point d’en arriver à refuser ce label même en croyant à ses valeurs, à cause des mauvaises associations faites à ce nom. A mon sens, ce qui serait intéressant est d’expliquer l’évolution historique du concept, de la 1ère vague à la dernière, et montrer où on en est au Maroc et où on espère arriver. Plusieurs fois, on l’identifie directement par les niches extrémistes, tout comme souvent on identifie l’islam à Daesh. Deux niches minoritaires non représentatives de ces idéologies, qui choisissent et interprètent négativement des valeurs plus grandes qu’elles, en nuisant à leur réputation.

Il faut d’abord désapprendre ce qu’on nous a appris toutes nos vies comme étant la vérité absolue, prendre conscience du fait que la loi a été faite par les hommes pour leur bénéfice en prenant pour base la sphère religieuse en ce qui concerne les parties en lien avec la femme et la famille. Il faut être en paix avec le fait qu’il est possible de réimaginer notre foi d’une manière à la fois respectueuse de la tradition et ouverte à d’autres sources de sagesse, comme l’a si bien dit Barack Obama dans son discours, « Un nouveau départ ».

C’est d’abord une question d’éducation, un problème comme plusieurs autres qui pourrait être réglé au niveau de l’école. Et comme le manifeste de la femme au Maroc mentionné plus haut, je me permets d’imaginer un autre que j’aurais aimé signer à la place à ma naissance. Un manifeste des lois me protégeant, me dictant tous mes droits et me montrant noir sur blanc que jamais une de mes peurs en tant que membre de la société ne devrait inclure un homme. Ce qui me ramène à mon dernier point, je recommande vivement de lire « Dear Ijeawele, or a feminist manifesto in fifteen suggestions » de Chimamanda Ngozi Adichie, auteur nigérienne, qui a imaginé et écrit une lettre à sa nièce encore enfant pour l’éduquer en tant que femme disposant de son corps et connaissant très bien sa juste valeur dans la société, en tant qu’égale à l’homme. Cette lettre pourrait être enseignée aux filles comme aux garçons, une façon de montrer que c’est un combat mutuel, ce n’est pas à un seul sexe de le mener mais à l’humanité entière. Si on enseigne l’éducation sexuelle à l’école, le féminisme, et les notions de libertés individuelles, peut-être qu’un jour, enfin, on pourrait en arriver à éliminer les frustrations, les discours de haine envers la femme, et enfin, le terrorisme sexuel.

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