Écriture créative – “Tala’a Al-Badru ‘Alayna” (Texte de Yassine)

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Dans le cadre d’une séance animée par Daniel Assayag la semaine dernière pour les participants de La Coupole, où ils ont été invités à rédiger des situations où ils se sont sentis méprisés par quelqu’un, Yassine partage avec nous son histoire avec sa maîtresse d’arabe classique.

Découvrez le texte de Yassine Ellouk, 24 ans :

Tala’a Al-Badru ‘Alayna

  • Comment t’appelles-tu, fiston? me demanda la maîtresse tout en me regardant de haut en bas. 
  • Je m’appelle Yassine, répondis-je avec une voix à peine audible. 
  • Parbleu ! Est-ce que vous êtes con noiraud ? Nous savons votre prénom, nous avons tous les noms des élèves de cette classe dans cette liste, voyons ! 

A ce moment, quelques élèves ont laissé échapper des petits cris étouffés, ce qui voulait exprimer le rire.

  • Enfin, ajouta-t-elle, quel est ton nom ? Celui qui accompagne ton prénom, nigaud ? Le nom de ta famille quoi ?
  • Ellouk, mon nom c’est Ellouk, rétorquai-je et cette fois-ci, ma voix fut bien entendue sous la pression.
  • Voilà qui est curieux ! Dit-elle en ajustant ses lunettes rectangulaires qui étincelaient, comme si elle avait reçu une réponse avidement attendue.
  • Et qu’est-ce que ça veut dire, Ellouk ? ajouta-t-elle en inclinant sa tête ronde et voilée en avant -des mèches rousses y sont échappées par dessous- pour me regarder mieux avec ses yeux écarquillés au-dessus de ses binocles.

Je ne savais pas ce que je faisais ici, à cet instant, dans la classe devant le bureau de la maîtresse de la langue arabe. J’ai eu l’impression qu’elle me prenait pour un condamné qui n’avait qu’à répondre aux questions de son bourreau.

Normalement, je suis censé être dans ma classe habituelle dans mon village au sud. 

Tout commença hier matin, alors que j’étais en train d’espionner une conversation qui se déroulait dans le salon entre mes parents :

  • Écoute Hlima, a dit mon père en s’adressant à maman, notre situation financière cette année ne supporte pas les dépenses à la fois du retour au village et de l’entrée scolaire. Puisque j’ai un travail ici, restons ici alors.
  • Mais il est trop timide, tu le sais. Et en plus, nous ne parlons pas du village ici, c’est Casablanca ! Il y a beaucoup de dangers dans les rues et j’ai peur…
  • Ne t’inquiète pas, l’interrompit mon père. Et puis de quelle timidité parles-tu? N’est-ce pas ton criquet qui a abusé de la fille du Caïd Hadj Hmed parce qu’elle l’a surnommé “bout de paille” à cause de sa maigreur? N’est-il pas lui qui a fait perdre le chef des gendarmes dans les champs après qu’il l’ait insulté et s’en est échappé ? N’est-ce pas ce jerboa qui m’insulte, moi même son père, Hélas ! Et se sauve à chaque fois que je le frappe à cause de ses insupportables bêtises? N’est-ce pas ce futé qui a…
  • Ça suffit, je comprends, il y a beaucoup d’exemples, je le sais. Pourtant je suis inquiète pour lui plus que pour sa sœur cadette. Ici, il n’a pas d’amis, du surcroît il ne sort pas pour en avoir. Même s’il sort je ne serai que de plus en plus angoissée. En revanche, Soukaina semble plus habile que lui…

En entendant maman parler de moi de la sorte, j’ai éprouvé une vague déconsidération.

Je m’étais dirigé vers eux et je leur dis :

  • Tu as raison mon vieux ! Bien que maman me prenne pour une petite princesse et bien que je ne veux pas rester à Casa, je m’y aventurerai like a man!
  • Moque-toi de moi tant que tu veux maintenant, ô mon fils! A dit mon père, l’air à la fois gaillard et menaçant, c’est là où ghadi trabba ! Je t’ai déjà inscrit à l’école du quartier. Demain matin tu seras à la classe car ils ont déjà commencé mon petit. Prépare toi ! 
  • Yes sir ! Hurlai-je en faisant le salut militaire et…
  • Bonjour ! Holà ! Allo ! m’a arraché la maîtresse de mes pensées avec des gestes intimidants qui faisaient toute la classe s’éclater de rire.
  • Où étiez-vous, élève ? me demanda-t-elle en arabe classique. Vous rêvez beaucoup de temps en temps ?
  • En fait, oui répondis-je avec assurance, je viens de voir une vision.
  • Ah bon ! Merci de faire face au public pour l’expliquer en arabe classique. Et, en s’adressant au élèves, ça sera la leçon d’aujourd’hui, nous allons nous amuser!

J’ai pris quelques instants pour réfléchir : voici la situation, elle me prend pour un idiot devant le public !

Je n’ai jamais laissé personne m’intimider sans que je lui fasse perdre sa dignité après. Alors, me disais-je, je le ferai !… mais non ce n’est pas très commode, ça. Mais pourtant, je dois le faire, sinon…Non ! Je ne veux pas de problèmes.

Puis, après que je me suis rendu compte que je n’ai pas encore eu l’occasion de jeter un coup d’œil sur mes collègues, j’ai tourné mon regard vers eux. Ils étaient une vingtaine, la plupart d’eux sont des filles, contrairement à ce qu’on a chez nous au village. Les garçons portent des blouses bleues, les filles en portent des blanches. Mes yeux sont tombés sur une jolie fille -j’ai appris plus tard qu’elle s’appelait El Batoul, la plus jolie fille à l’école- qui m’a salué par son agréable sourire qui, heureusement, ne me paraissait pas du tout moqueur. Je lui ai échangé un sourire incrédule en me disant au plus fort de ma stupéfaction “ Par mes ruses ! Que toutes les catastrophes soient les bienvenues ! En avant mon petit!”

  • Si ma maîtresse le veut bien, ses désirs sont des ordres, finis-je par dire en arabe classique.

Je me mis au tableau sur lequel j’ai griffonné trois figures qui ressemblaient à des êtres humains.

  • C’est mon quatrième arrière-grand-père et moi, causant dans le désert. expliquai-je mon tableau artistique.
  • Je crois que nous sommes ravis de le connaître, mais nous n’avons pas encore eu l’honneur de faire connaissance avec ta troisième créature, sot ! Et puis…
  • Ne m’interrompez pas madame quand je parle, l’interrompis-je. Je suis en train d’expliquer ma vision quand même.

Tous les yeux se dirigèrent vers elle pour guetter ses réactions dans un silence complet. Son regard était froid d’ailleurs, et menaçant bien entendu. Quant à moi, j’ai à peine gardé ma froideur, et j’ai continué en m’inspirant du sourire d’El Batoul qui semblait jouir de ma séance d’alchimie.

 

  • ”Je t’ai fait venir ici cette fois pour te confier deux secrets, sans plus.” me dit mon quatrième arrière-grand-père.”
  • Te rend-il visite de temps à autre ton 4ème arrière-grand-père? Me demanda-t-elle d’un ton moqueur.
  • ”Le premier, (poursuivis-je, sans lui prêter la moindre attention), concerne notre nom, mon fils. Il signifie le style ou bien la manière de s’habiller qui reflète la manière de penser. Je sais que tu ne comprends pas, fils, mais ce secret a une relation avec le deuxième.”

 

 

 

Après avoir eu l’intention de mes camarades, j’ai continué en préparant mes pieds à courir quand la situation se sera gâtée.

 

  • ”Le deuxième est le suivant : j’étais un instituteur, et il faut savoir que nous les instituteurs jouons un rôle primordial dans l’instruction des esprits, fils. Mais quand l’esprit de l’instituteur est cochonné, salopé, gâché ! Là, il faut faire attention. Pour identifier le bon instituteur du mauvais, je te propose juste de revenir à ton nom, fils. Oui, à partir de son “look” on peut avoir une idée sur son état intellectuel. Le personnage que tu as  rencontré ce matin, une enseignante d’une quarantaine d’année, rousse à force d’arroser les cheveux de henné, juste pour ressembler aux actrices turques qu’elle regarde dans nos respectueuse chaînes de télévision, porte la djellaba et le foulard pour vous enseigner l’éthique. Ses enfants étudient dans une école privée évidemment. Puis elle bourre l’esprit des élèves par des bagatelles, parce qu’elle est exaspérée par ce métier. Méfies-toi de ce genre là qui ont un “look” et un esprit démodé, fils.”

 

Quand j’ai fini, le tableau était zébré par des lignes de liaison qui se braquaient vers le personnage à la chevelure rouge. Il m’a fallu une craie entière pour la dessiner d’ailleurs, une craie rouge comme le visage de la maîtresse me fixant plein de colère. Quant à mes camarades, ils restèrent bouche bée, déconcertés, ébahis. Le sourire d’El Batoul a disparu en me lançant un regard blâmant qui voulait dire “Qu’est-ce que tu as fait !?”.

C’est vrai qu’on m’a conduit vers le bureau du directeur général pour une autre condamnation, mais il y avait beaucoup d’élèves qui étaient témoins de sa violence. J’ai appris plus tard que ma petite expérience ne valait rien devant celle de nombreux anciens élèves qui ont subi son agression même physique. Pour cela on l’avait surnommé “M.Bâton”. Désormais, nous l’avons baptisée de nouveau “Mme. La Démodée”.

Enfin, La maîtresse est devenue douce avec tout le monde, et son bâton avec lequel elle punissait les élèves a disparu, surtout avec les multiples plaintes des parents d’élèves.

Quant à moi, la plupart de mes camarades m’appelaient “Tala’a Al-Badru ‘Alayna”, car dès mon arrivée à l’école plusieurs choses ont changé, ce qui m’a rendu célèbre dans mon école.

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